Présentation

Épiphanies profanes, logiques de révélation et inventions subjectives.
Témoignages et approches psychanalytiques


Moïse – Michel-Ange



Thèmes et modes

Ce Groupe de recherche participative se caractérise par une organisation du travail dictée par son projet : dans leurs collaborations plurielles, ses participants établissent la série large et ordonnée d’une classe précise de témoignages qui exposent des logiques de crises subjectives, le plus souvent convergents.
La recherche consiste à en établit la collecte et à faire série des modes de survenues de phénomènes intimes et très surprenants pour le sujet : irréductibles dans leur manifestation, ils se présentent comme décisifs, aussi bien pour le destin personnel de qui en témoigne que pour les inventions qui en résultent — concepts, produits, œuvres.
Joyce en est un exemple, lui qui entendait donner du travail aux universitaires pour mille ans peut-être, et qui a témoigné d’une révélation personnelle particulière : elle s’est signalée comme marque réelle et a surgi en lui comme d’une nécessité non argumentative. « Épiphanie » est le mot qu’il avait choisi pour dire la « soudaine manifestation spirituelle » qui s’imposa à lui et comme devant être écrite et faire support de sa production future : « Il incombait à l’homme de lettres d’enregistrer ses épiphanies avec un soin extrême, car elles représentaient les moments les plus délicats et les plus fugitifs1», écrit-il dans Stephen le héros.
Posons que ces « moments épiphaniques » se manifestent comme signes irrépressibles d’une expérience subjective décisive ; qu’ils dessinent une nouvelle valeur au monde, lequel, parfois et comme en retour, vient intégrer et se régler sur ce produit. Les Épiphanies joyciennes seront donc les figures tutélaires de ce Groupe de Recherche, car nous y interrogerons les diverses solutions subjectives profanes de ces moments de vacillation puis de réorientation, et ceci, en articulant ensemble crise épiphanique et produit épiphanique.


Si l’on sait que les églises chrétiennes ont pu instruire les procès canoniques comme convocation du sacré et de ses marques divines, avec la grâce comme effet, l’on mesure aussi que dès le III ème siècle, elles ont inséré cette épiphanie sacrée dans des rites partagés et œcuménies qui, pour le fidèle, répètent la célébration de la bonne nouvelle. Or, les auteurs que nous étudierons témoignent comme en contrepoint d’une autre polarisation : calée par le singulier de l’évènement non-reproductible, leur expérience ne donne rien à célébrer collectivement, mais elle instaure d’emblée l’obligation pour le sujet de se régler sur ses effets en retour, et ceci sous un double aspect : celui du dépassement actif de la surprise d’une part, et celui de la mesure de sa conséquence dans le monde de l’autre. Ces auteurs parlent toujours, sans doute chacun à leur manière, de ces « déchirements profonds d’un monde attaché à la fois aux philosophes et aux prophètes2 » tels que les décrivait Emmanuel Levinas, qui en faisait le point d’accroche de toute morale inconditionnelle, fondée sur l’épiphanie du visage.
La recherche se donnera donc pour corpus tous les témoignages de ruptures d’habitus subjectifs ; elle s’intéressera aux différentes « crises » dont les décours débouchent sur une invention, donnée ou confiée au monde, quels qu’en soient les contours : œuvre ou concept, esthétique ou scientifique. Une crise sans autre origine que le plus particulier de son point de rupture, mais chargée du destin de l’invention dont elle procède et qui s’incarne dans un réel, irréductible. Une éthique de l’engagement y prévaut là en général, bien plus que le rite de célébration de la grâce. 


Hypothèse

L’hypothèse est que cette crise subjective épiphanique, avec ses vacillations, se lit sur deux faces : celle du temps d’abord, ou plus précisément du moment, avec sa genèse et ses logiques d’une part ; celle du produit et ses articulations en écho de l’autre. Par là, crise du sujet et production d’un réel sont à distribuer sur un temps déployé entre surgissements soudains et remaniements parfois longs, mais toujours logiques, avec leurs «assertions de certitude », sans doute toujours formellement anticipées.
À terme s’opère donc une valorisation de la découverte, comme révélation et invention, qui définit un produit; ou, en l’énonçant autrement et de manière plus tendue, cette valorisation produit une construction ternaire : objet, réel, nécessaire, cette trilogie étant séparée de son auteur et identifiée par le social, alors même que ses conditions et genèse la spécifiaient comme subjective, irréelle et contingente.  
Nous étudierons ces remaniements subjectifs de logiques profanes en tant que distincts de la grâce — même si cette dimension peut entrer en jeu, comme le Mémorial de Pascal le marque si intensément.
Selon les principes et méthode de logique différentielle, cette approche des épiphanies subjectives sera abordée sans réductionnisme et en les inscrivant dans un tableau différentiel, bordé par le sacré, mais aussi par les questions structurales de la clinique : celle de la psychose, des traitements des phénomènes élémentaires et de toutes décompensations, comme des cliniques des hallucinations et du rêve, qui devront bien sûr être également pointées, toujours dans une logique de discrimination.

L’enjeu de la recherche est donc bien celui du sujet, défini en deçà de la transcendance ou des catégorisations psychopathologiques qui distribuent ses jouissances : c’est à une approche différentielle des modes épiphaniques dénotés, pris dans leur valeur existentielle profane d’assomption de la crise et de ses réalisations, que nous nous consacrerons.


Corpus, Coordinations et collaborations, Calendrier

Inscription et participation dans le groupe

Le groupe, proposé au titre du laboratoire multi-site EA 4050 est ouvert à toute personne, quel qu’en soit le statut : étudiant ou professionnel, chercheur ou membre extérieur, intéressée à cette question. Proposé et coordonné par E. Aurin (Brest), L. Ottavi (Rennes) et F. Réguer (Morlaix), sur la base d’une convergence de travaux doctoraux engagés, il est fédéré et coordonné pour la transversalité du Laboratoire multi-site par M-J. Grihom (Poitiers), P. Martin-Mattera (Angers). Il est également coordonné et relayé au-delà du Laboratoire par des chercheurs en synergie engagés dans des recherches en rapports directs avec ce thème ; L. Laufer (Paris), L. Petit (Aix), O. Douville (Paris), S. Askofare (Toulouse), P. Fouchet (Bruxelles), G. de Villers (Louvain), M. Strakhov (Moscou), V. Besset (Brésil), D. Lodono (Colombie) ; il est également relayé et coordonné par des chercheurs engagés dans des paradigmes connexes et nécessaires à l’étude : H. Regnauld (Rennes), E. Bouju (Harvard, Cambridge). 
Tous assurent les relais et amplification du travail des chercheurs et contributeurs de ce groupe. D’autres coordinateurs, qui relèvent d’autres villes, autres institutions et/ou universités participeront aussi à la recherche. Ce groupe est donc ouvert à tous, sans aucune considération de grade, de titre ou de fonction, mais il est subordonné à l’engagement de présenter, pour chacun et d’où qu’il soit, un rapport sur un cas d’épiphanie profane tel qu’esquissé plus haut. Toute demande de participation ou d’adhésion doit être adressée par écrit à la boite mail du groupe et comporter quelques lignes en guise de présentation d’un « cas ». 


Modalité de la recherche

Collection et corpus :  
Le travail s’effectuera dans son premier temps en collationnant les exemples apportés par les participants.
Pour cela, outre la boite mail, précisée ci-dessous, est destinée aux échanges et informations rapides collectives ou à l’adresse des coordinateurs et un site web est dédié à ce groupe de recherche. Il permettra l’enrichissement rapide de données. Il comportera : — le recueil en augmentation des cas ; — leur présentation sous forme de textes brefs, toujours attachés au factuel des témoignages ; — la liste des contributeurs ; — un lieu d’échange en direct (Skype) : — des créneaux de rencontre pour des séances de travail à distance, qui seront fixés toutes les trois semaines, avec la possibilité de se connecter à la date et heure convenue et annoncée à l’avance.

Site internet (blog) : epiphaniesprofanesgr.blogspot.com

La liste des coordinateurs et contributeurs sera régulièrement actualisée sur le site web epiphaniesprofanesgr.blogspot.fr, ainsi que les productions, lesquelles seront toutefois protégées, le temps de leurs constructions, sur une page non libre d’accès public. 
Une journée ou soirée d’étude publique inaugurale permettra de détailler le projet. Ensuite, une seconde journée ouvrira le second temps de la recherche, et ces deux rencontres (ou plus, vraisemblablement) permettront de mener des échanges et dialogues en direct, entre chercheurs mais aussi auditeurs ou participants ponctuels intéressés.

▻ Publication : 
- Le corpus dégagé donnera d’abord lieu à publication d’un livre : recueil de textes, il sera conçu comme corpus de narrations3 de cas épiphaniques : il visera à dégager les données contrastives des cas, pour mener les constructions différentielles ultérieure, mais n’anticipera en aucun cas sur celles-ci. La réalisation de ce recueil et sa soumission à un éditeur sera réalisée le plus tôt possible, des accords de principe sont déjà actés.
- Suite à cette première publication et dans un second temps, il conviendra de construire les interrogations différentielles, avec leurs paradigmes choisis et leurs axes méthodologiques qui seront à explorer. C’est dire aussi que ce second temps de la recherche aura comme visée la préparation puis la tenue à terme d’un colloque large, international et corrélé à la publication d’un second ouvrage, qui fera série en reprenant le corpus, mais dans une visée d’élaboration et de discussion contrastive, en convoquant les paradigmes et axes méthodologiques dégagés.

Paradigmes et axes méthodologiques

Approche différentielle et mobilisation de paradigmes distincts, issus des constructions psy-chanalytiques mais aussi de toutes leurs connexions articulées à d’autres modèles, c’est l’ambition initiale et non limitative qui prévaut, qui s’enrichira des propositions nouvelles des contributeurs et participants.
Le second temps de travail ouvrira – et c’est presque une gageure4 –, sur une pluralité de propositions pour construire des logiques différentielles de l’épiphanie profane.
Nous nous appuierons et explorerons donc plusieurs paradigmes construits, variés, identifiés à différentes sources non exclusives, dont celle de Freud relativement à la question de la création, de l’art, de l’invention (« Métapsychologie », les « Délires et rêves dans la “Gradiva” » etc.), ou encore son Moïse de Michel-Ange, qui se centre sur la consistance de la statuaire comme révélant interprétation, par l’artiste, de l’indétermination du temps vécu. Nous pensons également à la problématique des remaniements qui adviennent dans et puis par le rêve de l’Homme aux Loups, et au Président Schreber. 
Les paradigmes lacaniens sont également centraux, par exemple sa logique qui articule ces deux termes de crise et réel. C’est en effet précisément l’écriture épiphanique de Joyce qui fut aussi ses guide et recours pour produire son élaboration nouvelle de l’inconscient et du symptôme, situés au-delà de sa lecture et son retour à Freud. Le « sinthome » est son ultime reprise de la question qui insistait depuis la découverte freudienne, et qu’il formule comme rapport noué entre le signifiant et le réel. C’est à ce lien-là que, pour Lacan, Joyce nous ouvre : « Il est tout à fait lisible dans Joyce que l’Épiphanie est ce qui fait qu’[…] inconscient et réel se nouent5  ».  Si donc Joyce est guide de Lacan, c’est par ce qu’il indique, comme créateur, le lieu que ce même Lacan appelait, dans son élaboration antérieure, le « point reculé » de la structure.


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À la fois source obscure et forme, expérience en accointance avec la mystique et esquisse de théorie esthétique — véritable manifestation de l’objet en sa « claritas » de St Thomas d’Aquin, avec sa néantisation de l’être — « l’épiphanie profane » de Joyce convoque les mêmes axes que le sacré et charge sa création littéraire d’une révélation dont il doit produire les résultats. Jacques Aubert en soulignait la fonction essentielle dans le processus de création : « [Les épiphanies] sont marquées du sceau de la Nécessité : l’épiphanie pour [Joyce] est avant tout, disons même avant toute théorisation consciente, un petit texte qui lui tombe du ciel, s’impose à lui de la façon la plus implacable, sans pour autant perdre totalement, du moins dans la plupart des cas, sa qualité énigmatique6  ».
Énigme dans leur mode de manifestation, et contingence d’un « tombé du ciel », les épiphanies ouvrent au temps pour produire du nouveau, pérenne, dans le monde. Outre d’autres problématiques analytiques, l’on dégagera donc d’un côté un des axes freudiens, centré sur l’indétermination du sujet et de sa résolution agie (Hamlet, Gradiva) ; un des axes lacaniens, qui propose une approche distincte, moins rapportée à la logique de la contingence qu’à celle du possible7 . D’autres et recours à d’autres auteurs seront à dégager.
Enfin, à plus long terme, le groupe pourra étudier des dispositifs sociaux très construits, qui traitent eux aussi, selon leurs logiques et modes propres, de l’assomption de positions subjectives nouvelles, issues de données sans doute épiphaniques spontanées mais aussi et surtout induites et conduites par des dispositifs spécifiques (initiations, assomptions sociales, formations etc.). Ce développement, à envisager aussi dans les coordonnées du temps logique, examinera en creux ce qui, pour le sujet, procède de possibles logiques épiphanies induites.
Pour ces épiphanies profanes spontanées, nous avons déjà une liste en extension — et elle est ici seulement ouverte, dans une esquisse très rapide : Descartes, Pascal, Claudel, Joyce, Woolf, Cantor, Kerouac, Pessoa, Benjamin, Van Gogh, mais aussi des descriptions de Duras, comme de la survenue ou non de tout sentiment océanique et ses destins, les rêves diurnes et expériences étranges qui ouvrent à des temps longs de réaménagements et de productions. 

La liste des points d’approche est indéfinie, elle est à charge de chaque participant, et ceci sur pièce, par présentation en trois ou quatre pages du fait retenu. Cela vaudra comme ticket d’entrée, tous et chacun y étant convié.

Pour obtenir le présent argument au format PDF, Cliquez ici.









1 Joyce J., Stephen le Héros, Stephen le héros, fragment de la première partie de Dédalus, Paris, Gallimard, 1948, p. 216
2 Levinas E., Totalité et Infini : Un essai sur l’extériorité, Paris, Livre de poche Essais, 1971, p. 9 
3 Nb : Les ouvrages La vie des Hommes illustres de Plutarque, ou encore Vies politiques d’H. Arendt pourraient être modèles pour la construction des rapports à partir des biographies étudiées.
« …si j’osais, j'appellerais le Cours de cette année, je l'appellerais “Illuminations profanes”, au pluriel. Si j’osais... » Miller, J.-A. « Illuminations profanes », cours du 9/11/2005, inédit. 
5 Lacan J., Le séminaire livre XXIII,  Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p.154
Aubert J., « Préface »,  Joyce J., Portrait de l’artiste en jeune homme, Paris, Gallimard, 1992, p. 13
7 « Ce qui cesse de ne pas s’écrire » et «  Ce qui cesse, de s’écrire »